Texte de Mr Marcel NUSS
On n’arrête pas d’entendre ou de lire des témoignages de gens confinés, à plusieurs ou seuls, souvent dans des appartements exigus, et nombre d’entre eux se plaignant plus ou moins, disant leurs difficultés à supporter leur confinement, au bout de quelques jours uniquement.
Certes, se retrouver enfermé chez soi, du jour au lendemain, ce n’est pas aisé mais, exception faite des personnes vivant dans des appartements insalubres et surpeuplés et celles psychiquement fragiles, ces témoignages interpellent et questionnent des dizaines de milliers d’êtres qui sont confinés depuis des années, voire depuis leur naissance.
Personnes atteintes de la maladie de Charcot, de formes de sclérose en plaques très graves, personnes tétraplégiques par accident ou en situation de handicap depuis la naissance (maladies orphelines ou handicaps génétiques dégénératifs : myopathie ou amyotrophie spinale infantile), et la liste n’est pas exhaustive. Ce type de concitoyens est, non seulement, enfermées chez soi mais, également, en soi pour certains.
Ces gens-là, comme disait Brel, combien les fuient, les ignorent, les stigmatisent, les plaignent ou les craignent, les dévisagent dans la rue (lorsqu’ils sortent) et pire parfois ? Qui se demande réellement ce qu’elles éprouvent, confinées dans leur corps voire dans leur esprit ? Qui s’en soucie, à part les proches et les professionnels du médico-social ?
Qui s’interroge sur sa propre vie, a fortiori celle de son prochain, pris dans le train-train de son quotidien, engoncé dans ses habitudes, son stress, ses préoccupations, ses égoïsmes, sa survie ? Jusqu’au jour où le drame survient. Avant, on le sait bien, « ça n’arrive qu’aux autres ».
L’empathie n’est pas une monnaie aussi courante qu’on pourrait l’espérer, ou le penser, dans nos cultures occidentales égotiques, celles du chacun-pour-soi jusqu’à en perdre son âme.
Pourtant, en cette période de confinement forcé, ne serait-ce pas le moment de la cultiver du fond de son isolement contraint et responsable ? Ne serait-ce pas le moment de s’interroger sur ce qu’est la liberté, être libre, être soi, se questionner sur la place de son prochain, sur les autres dans leurs diversités, leurs spécificités, sur son rapport à l’altérité et à la différence ? Découvrir l’empathie. Pour soi et pour autrui. En effet, difficile de bien aimer l’autre si on ne s’aime pas soi-même, et difficile de se relier à l’autre si on n’est pas vraiment relié à soi.
À ce moment-là, on pourra peut-être s’apercevoir que des êtres existent, souvent ignorés, écartés voire exclus parce qu’ils n’entrent pas dans la sacro-sainte norme. Les uns sont méprisés ou agressés (étrangers, migrants, personnes transgenres, personnes qui se prostituent, etc.), les autres sont mis à l’écart pour ne pas déranger (dans tous les sens du terme), ou le moins possible, car trop vieux ou trop « handicapés » et représentant une charge pour la société, un poids.
Et on pourrait tout à coup prendre conscience que d’autres sont bien plus confinés que soi et pas pour quelques semaines mais toute une vie. Quand ils ne sont pas également privés de la parole et condamnés à mourir à plus ou moins courte échéance.
Comment vivent-ils ces « autres » dans leur réalité et leur quotidien ? Que ressentent-ils dans leur corps et dans leur tête, enfermés cette prison physique à perpètes et une immobilité totale ou presque ?
Aveuglé en général par des préjugés défavorables, le commun des mortels, c’est-à-dire Monsieur et Madame tout le monde dans son petit monde très circonscrit, se persuade que c’est forcément invivable, qu’on ne peut pas être heureux dans « cet état », qu’ils n’ont rien de la vie, que ça doit être inhumain « pour ces gens-là », que ce serait peut-être préférable qu’ils meurent. En fait, toute personne lambda a tendance à se mettre, charitablement, à la place de « ces malheureux » pour ne pas avoir à se poser de bonnes questions, celles qui risquent de perturber sa tranquillité d’esprit.
Pourtant, ce n’est pas l’état physique qui fait le bonheur, c’est l’état d’esprit. Bien sûr, en ce qui me concerne, je ne souhaiterais à personne d’avoir un handicap tel que le mien. Toutefois, si c’était à refaire, je le referais. Pourquoi bon sang, se demande le lambda ? Parce que j’ai trouvé du sens à ma vie et dans ma vie, comme bon nombre de mes congénères. Trouver du sens, c’est trouver le bonheur, c’est trouver l’amour, c’est trouver en soi une énergie de vie insoupçonnée, et de les cultiver jour après jour. Personnellement, je pense que la spiritualité est dans l’art de vivre, pas dans une quelconque religion.
Au final, on peut être très libre, même confiné dans son corps – sauf si on cultive la victimisation. Donc, pourquoi pas dans un appartement, même exigu, même dans des conditions très difficiles ? À condition de prendre le temps de se poser et de profiter de cette parenthèse contrainte par des circonstances pour s’explorer et/ou découvrir ou redécouvrir la ou les personnes qui vivent à proximité. Je ne dis pas que c’est simple et facile, aucune vie n’est facile et simple, mais c’est réalisable. C’est d’autant plus faisable que vous savez que dans quinze jours ou trois semaines, vous retrouverez votre « liberté ». Pourquoi entre guillemets ? Car votre liberté est probablement une illusion que vous nourrissez par facilité ou commodité.
La liberté, la vraie liberté, c’est autre chose. Croyez-moi. Elle est nichée en vous, attendant de remonter à la surface lorsque vous l’aurez décidé ; si vous le décidez un jour.
Bon courage en attendant, et ne vous laissez pas désespérer par l’étalage indécent des privilégiés de la faune du showbiz et autres bobos qui étalent leur confinement luxueux dans certains médias.