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Nouvelle affaire de pédocriminalité dans un institut accueillant des jeunes handicapés. Marie Rabatel, présidente de l'AFFA, dénonce une omerta et appelle à modifier une loi trop "sexiste" qui fait de notre société la complice des agresseurs.
Nouvelle affaire de pédocriminalité dans un établissement médico-social, une de plus. Ça se passe dans un IME (institut médico-éducatif) de Voiron, en Isère. Trois éducateurs spécialisés sont soupçonnés d'agressions sexuelles sur onze enfants et adolescents (article en lien ci-dessous). Cette « affaire » a eu le mérite d'éclater au grand jour, même si la justice semble traîner des quatre fers pour prendre en compte la parole des victimes. Mais combien d'autres font silence derrière les portes closes des institutions ? Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone des femmes autistes, est une ardente militante dans ce domaine, dénonçant sans relâche cette « omerta » dans le champ de l'autisme mais plus largement dans celui du handicap. Celle qui fut elle-même victime de violences sexuelles entend porter la parole de ces « enfants handicapés oubliés de la société mais pas des pédocriminels ».
Handicap.fr : Les enfants en situation de handicap sont-ils particulièrement exposés aux violences sexuelles ?
Marie Rabatel : Oui, tous les facteurs sont réunis pour qu'ils soient la cible idéale : peu de pudeur, une intimité peu respectée, un apprentissage à la soumission qui les éloigne du pouvoir de décision, des difficultés à s'exprimer, à percevoir, à répondre ou encore à comprendre l'intention de l'autre. Des proies de choix pour les pédocriminels. D'autant plus qu'un enfant rencontrant des difficultés pour faire les gestes du quotidien est régulièrement soumis aux injonctions de l'adulte ou de l'éducateur. Cette soumission-domination amènera d'ailleurs ce futur adolescent puis adulte à être plus souvent victime de violences sexuelles au cours de sa vie, voire à reproduire ce schéma, plongé dans un déni des violences subies ou reproduites.
H.fr : Le huis-clos permet à l'agresseur de passer à l'acte facilement ?
MR : Evidemment, que cela soit en institution ou dans le cadre familial. Se retrouver seul avec l'enfant est fréquent et quotidien. On sait tous qu'un agresseur dans le cercle proche de l'enfant agit lorsqu'il a réussi à gagner sa confiance et celle de ses parents. Il sait alors qu'il peut agir en toute impunité car il sera peu inquiété par la justice.
H.fr : Le moment de la toilette, en particulier, est une « aubaine » ?
MR : Disons que ce n'est pas un moment anodin. Le pédocriminel profite de cette opportunité pour s'approprier le corps de l'enfant. Il est donc important que l'accompagnement se déroule dans une communication active, en nommant et expliquant à l'enfant chaque geste. Banaliser ce moment reviendrait à lui dire que son corps n'est qu'un objet. Quand cela est possible, le père accompagne son fils et la mère sa fille.
H.fr : Lorsque l'enfant grandit, certaines frontières peuvent être franchies, y compris au sein des familles…
MR : Il n'est en effet pas toujours facile de voir son enfant handicapé devenir un adolescent. Cela peut alors engendrer un climat incestueux lorsque, par exemple, le parent n'arrive pas à admettre qu'il grandit et l'infantilise jusque dans son intimité, en lui prodiguant des soins comme s'il s'agissait d'un tout tout-petit alors qu'il est face à un corps en pleine puberté ou devenu adulte. La question d'apprentissage de sa propre intimité est donc centrale et il est primordial d'apprendre très tôt à l'enfant à connaître les parties de son corps et à lui faire savoir que celui-ci lui appartient. Certains enfants n'ont parfois aucune pudeur, c'est donc aux parents de les aider à poser des limites.
H.fr : Comment repérer les violences sexuelles commises sur un enfant en situation de handicap ?
MR : Un changement de comportement soudain est un indicateur. Un module auto-formatif gratuit a été récemment mis en ligne pour répondre à cette question (article en lien ci-dessous). Mais, il y a une grosse carence dans le repérage. Les conséquences sont souvent mises sur le compte des comportements en lien avec le handicap et la parole de la victime est souvent incomprise, presque toujours mise en doute. Aujourd'hui encore, des enfants non verbaux ne disposent pas d'outil adapté pour leur permettre de s'exprimer, ce qui permet à l'agresseur d'opérer en toute tranquillité. Une des priorités est de tout mettre en œuvre pour leur donner accès au droit d'expression et à la liberté de parole et surtout de les croire.
H.fr : L'enfant handicapé peut aussi avoir une amnésie liée au traumatisme ?
MR : Oui, au même titre qu'un enfant sans handicap. Qu'en est-il de ces adultes qui, du jour au lendemain, sont pris par une explosion de réminiscences de leur trauma, de déchirements dans leur corps ou encore de comportements de mise en danger ? Évidemment, on va mettre cela sur le compte d'une crise en lien avec le handicap ou évoquer une psychose. Combien sont ainsi hospitalisés sous contrainte, attachés et abandonnés alors que l'origine du mal est ailleurs… La société doit se réveiller car, par son silence et son déni, elle participe à cette déshumanisation de la victime qui la tue à petit feu, qu'elle soit handicapée ou non.
H.fr : Comment faire bouger les lignes ?
MR : La prévention, la prévention, encore la prévention. La stratégie de prévention mise en place par la ministre des Sports Roxana Maracineanu en juillet 2020 pour lutter contre les violences sexuelles dans le sport est un bon modèle. Elle doit se propager dans tous les lieux publics ou privés et, ce, quel que soit le professionnel ou bénévole ayant en charge des enfants, personnes handicapées ou âgées, malades, personnes migrantes, etc.
H.fr : D'autres pistes ?
MR : Il y en a plein… L'éducation à la sexualité dès le plus jeune âge. La formation des différents professionnels au psycho-trauma. Une sensibilisation des parents est également impérative dans le contenu de la nouvelle « bébébox » des 1 000 premiers jours de l'enfant mise en place par le gouvernement (article en lien ci-dessous). Ce peuvent être aussi des contrôles inopinés dans les établissements et services médico-sociaux ou encore la mise en place de caméra pour protéger les personnes accueillies au même titre que celles utilisées dans les gares pour protéger les voyageurs ou encore les bouteilles de lait dans les supermarchés. Il faudrait également mettre en place un suivi gynécologique pour toutes les jeunes filles et femmes en institution. La pair-aidance peut également fournir un accompagnement précieux. Enfin, il faut s'engager à mettre un terme à la violence institutionnelle ordinaire qui participe à une perte d'autonomie des personnes accueillies et fabrique un terrain propice aux violences.
H.fr : Il y a deux ans, Adrien Taquet, encore député, avait proposé des amendements en ce sens pour protéger les personnes en situation de handicap contre les violences sexuelles.
MR : Oui mais d'après Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, et Alexandra Louis (rapporteure), ces personnes ne semblaient « pas avoir leur place dans ce projet de loi spécifique », toutes deux proposant de reléguer ce volet « dans un texte consacré à la politique menée en matière de handicap ». Qui protège-t-on lorsqu'on évince les femmes handicapées de la loi contre les violences sexuelles et sexistes ?
H.fr : Et maintenant ?
MR : Nous comptons sur la commission indépendante « Inceste et violences sexuelles : l'urgence d'agir pour un changement de société radical » mise en place par Adrien Taquet, désormais secrétaire d'Etat à l'Enfance et à la famille. Elle doit être un tournant à 180 degrés pour que l'omerta qui règne sur ces victimes ne reste plus dans l'ombre des politiques publiques. Ces enfants et futurs adultes les plus vulnérables sont certes handicapés mais des enfants avant tout. La prévention est la base pour éviter des conséquences irrémédiablement destructrices. L'autisme, par exemple, n'est rien par rapport aux conséquences psycho-traumatiques d'un viol... Cette souffrance, il n'y a toujours pas de mot assez fort pour l'expliquer.
Une pétition déposée en septembre 2020 sur le site du Sénat demande la modification du calcul de l'Allocation adulte handicapé (AAH). Cette pétition vient de dépasser les 100 000 signatures, une première sur le site du Sénat. Devant ce soutien, un sénateur a été nommé pour travailler sur un texte législatif touchant le mode de calcul de l'AAH. Le Sénat examinera le 9 mars la proposition de loi pour supprimer la prise en compte des ressources du conjoint pour le calcul AAH.
Pour pouvoir bénéficier de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH), un certain nombre de conditions doivent être réunies dont des conditions de ressources à ne pas dépasser. Or, pour les personnes handicapées en couple, les ressources sont calculées en prenant en compte les revenus du conjoint, concubin ou pacsé.
Face à ce constat, une pétition demandant la désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) (nouvelle fenêtre)a été déposée sur la plateforme de pétitions en ligne du Sénat le 10 septembre 2020.
Le 13 février 2020, une proposition de loi supprimant la prise en compte des ressources du conjoint (pacsé ou concubin) pour le calcul de l'AAH avait été votée en première lecture à l’Assemblée nationale.
La situation n'ayant pas évolué, une pétition avait été déposée en septembre 2020 sur la plateforme en ligne du Sénat pour changer le mode de calcul de l’AAH et demander un calcul individualisé de cette allocation.
Fin janvier 2021, cette pétition a obtenu le soutien de plus de 100 000 signataires. Dans le même temps, le sénateur Philippe Mouiller vient d’être nommé, le 20 janvier 2021, par la commission des affaires sociales du Sénat comme rapporteur pour une proposition de loi concernant l’évolution du calcul de l’AAH.