La discrimination silencieuse des soignants, parents d’un enfant en situation de handicap
Depuis des semaines, chaque soir, à 20 heures, les français applaudissent les personnels soignants ou du secteur médico-social, qui sont en première ligne pour combattre l’épidémie et sauver des vies.
Parmi eux se trouvent des parents d’enfants en situation de handicap. Ils ont le droit, comme les autres, de bénéficier des modes de garde organisés, sur chaque commune, pour assurer l’accueil de leur enfant. Sauf que pour un grand nombre d’entre eux, ils se heurtent aux mêmes phénomènes qu’ils connaissaient déjà avant le confinement, à savoir la réticence voire le refus de prendre en charge leur enfant, parce qu’il présente un handicap.
Les raisons invoquées sont toujours les mêmes : méconnaissance du handicap, insuffisance de l’encadrement, manque de qualification, peur de mal faire, pas de moyens financiers pour renforcer l’équipe. Plus encore, la difficulté de leur enfant à comprendre le contexte et à respecter les gestes barrières devient un argument pour justifier du refus d’accueil.
« Ce matin, à 9h30, le cabinet de la Ministre m’appelle pour gérer une situation de crise sur une grande métropole française », confie Laurent Thomas, responsable de la Plate-Forme Tous Mobilisés. « Anne, infirmière libérale, se trouve devant l’entrée de l’école où est organisé l’accueil collectif pour les enfants des personnels prioritaires. Trois personnes de la mairie lui bloquent l’entrée. Elle a deux enfants autistes. Ils acceptent son aîné, mais pas son petit frère, parce qu’il n’a pas le langage et présente ce qu’ils nomment des troubles du comportement. J’appelle la maman sur son portable. Elle est en larmes. Les patients de sa tournée, dont une partie sont atteints du covid-19, l’attendent. Elle est déjà en retard. Le responsable du site lui demande de faire sa tournée avec son enfant ! ».
En moins de trentre minutes, la Plate-Forme, en lien avec deux associations locales spécialisées dans l’accompagnement des familles ayant un enfant en situation de handicap, trouve une solution et depêche deux intervenants, sur le site, pour renforcer l’équipe du lieu d’accueil et prendre en charge Mathis.
L’après-midi, une réunion en visio-conférence est organisée par la Plate-Forme Tous Mobilisés avec la Mairie, la maman et les associations locales. « On est dans un autre monde », se désole Laurent Thomas, « tout semble compliqué ou impossible« . Entre 8h30 et 12h, l’enfant est pris en charge par l’enseignant et l’AESH. Mais rien n’est prévu sur le temps périscolaire, entre 8h et 8h30, sur le créneau du midi, le temps que la maman finisse sa tournée, ni le mercredi matin. La suggestion de faire embaucher l’AESH par la Mairie se heurte aux compléxités de recrutement : « cela prend entre deux et trois semaines, pour suivre le processus RH, vérifier la moralité de la personne… » indique la responsable du service éducation de la Mairie. Une association spécialisée dans le répit des familles propose un intervenant sur l’ensemble des temps : « Oui, mais il faut établir une convention et qui va prendre en charge les coûts ? », renchérit la responsable du service éducation.
Finalement, en fin de journée, sous la pression conjuguée de la Plate-Forme, du cabinet de la Ministre et de la Préfecture, une solution est trouvée. La Mairie embauchera un vacataire qui s’occupera de Mathis sur l’ensemble des temps périscolaires. Sauf que cette personne ne connait pas Mathis, n’a aucune expérience auprès d’enfants en situation de handicap et n’aura sans doute aucun soutien pour l’aider dans cette prise en charge. Mais la maman n’a pas le choix. C’est donc la boule au ventre qu’elle va déposer, chaque jour, ses enfants, parce que sa mission est d’être en première ligne, mais elle sait, au fond d’elle même, qu’elle envoie aussi ses enfants en première ligne, avec leurs fragilités, sans savoir si leur prise en charge sera bienveillante.
Une histoire parmi d’autres ? En l’espace d’une semaine, la Plate-Forme a reçu 15 autres situations analogues. Dans la majorité des cas, les parents ont du se mettre en arrêt, privant ainsi nos services de santé de leurs compétences et de leur engagement. D’autres ont fait appel à des services d’aide à domicile, mais c’est 25€ de l’heure en moyenne. Pour le moment, la Plate-Forme assure, dans la plupart des cas, la garantie financière, le temps qu’un financement soit trouvé… sans aucune certitude.
Ces situations, les parents ayant un enfant en situation de handicap les connaissent bien, conduisant la plupart d’entre eux à renoncer à ce droit d’accès aux lieux d’accueil collectifs. « Mais qui aurait pu imaginer, qu’en cette période de crise sanitaire majeure, on fasse subir aux soignants, qui chaque jour sauvent des vies, cette pression, particulièrement violente et intolérable en raison du handicap de leur enfant ? », conclue Laurent Thomas.
La Plate-Forme a saisi le Défenseur des droits, et continue, chaque jour à accompagner les familles et leur trouver des solutions, au cas par cas…